Plus notre collection de bouteilles augmente, plus les échantillons s'empilent sur nos étagères et plus il devient difficile de savoir quoi boire. Ce n'est pas neuf mais l'abondance crée la frustration. Censé nous libérer des pesanteurs de la condition humaine, voilà que notre alcool favori nous replonge dans les atermoiements de la vie moderne. Alors que faire ?
Comme Luke Rhinehart, on peut entrer en résistance et rejoindre la mystérieuse confrérie qui s'est formée dans son sillage, ceux qui depuis la parution de The Diceman en 1971 jouent leur destin à l'aide d'un dé à six face.
Luke Rhinehart est psychanalyste à New York et mène, quand sort le livre, une vie que l'on qualifierait volontiers de "bobo" – si l'on consent à l'anachronisme. Une vie confortable donc mais qui ne le satisfait pas. Jusque-là rien de très original. Mais voilà.
Un soir, un peu éméché, il rentre chez lui et l'idée lui vient de jouer au dé la suite de la soirée. Si le hasard donne un score entre 1 et 3 il va se coucher auprès de sa femme, si le dé affiche 4,5 ou 6, il traverse le couloir et sonne chez la voisine qu'il a envie de tamponner depuis des lustres. Le hasard faisant bien les choses, il obtient sa petite aventure, passe quelques heures agréables en compagnie de sa voisine et rentre se coucher auprès de madame. Tout aurait pu s'arrêter là. Mais il continue et décide de soumettre toute sa vie au bon vouloir du dé. Et là, on commence à comprendre toute l'intelligence de ce livre culte.
Le hasard n'étant qu'une affaire de propositions, Luke se rend compte de la nécessité de pimenter le jeu de quelques propositions radicales. Le meurtre rode donc.
Depuis 1971, des hommes, partout dans le monde, suivent la voie de Luke Rhinehart et mettent leur vie quotidienne au bout du dé. A l'heure de savoir quel whisky boire j'ai donc tenté de faire comme eux. Mais attention, pour faire en sorte de rester dans l'esprit du roman, il faut jouer le jeu et mettre une proposition radicale. En l'état, une bouteille fermée et estimable que l'on ouvrira si le 6 apparaît.
Je jette. Je respire. Mon seul Port Ellen reste bouché – je regrette presque finalement –mais le dé m'offre l'occasion d'ouvrir un sample de Caol Ila 1978 que, peine à jouir, je n'osais pas décapsuler. Allons-y.
Nez : Banane tourbée, très gars mais moins huileux que les standards de la distillerie. Assez austère en fait. La tourbe ne saute pas non plus à nez. L'alcool paraît bien intégré. Cuir. Cendre de cigare. Cirage. Fleur d'oranger. Faut-il rajouter de l'eau ? Je le joue au dé. Entre 0 et 3 je mets de l'eau, au dessus, pas d'eau. 6 je mets un glaçon (équivalent du meurtre dans le bouquin). Résultat : 2. Je mets de l'eau. Ouf. Avec quelques gouttes on revient à la maison. Ambiance nature et vent sur Islay, herbe sauvage, foin et garage auto. on est bien. Merci le dé.
Bouche : grosse attaque. Orange, fruits du vergers. Cuir, citron, chocolats à l'orange. La tourbe est présente mais bien intégrée, comme l'alcool. Amertume, gentiane Avec l'eau on perd en picotement mais on gagne en souplesse. Difficile de savoir ce qui est mieux. On est bien.
Finale : Puissante mais moyennement longue. Vu le tonnage c'est un peu décevant. Chocolat, sarments du médoc, orange. C'est bon cependant. La tourbe persiste dans la version sans eau. Elle est plus atténuée avec.
Note : A (George Crockfort - le vrai nom de l'auteur)
Prix : 350 euros (psychanalyste New Yorkais)
Chef-d'oeuvre de la littérature des seventies, L'Homme-dé est un roman inépuisable dont la vie continue au-delà de sa seule postérité littéraire. Pour l'amateur de malt atteint de collectionnite c'est une lecture hautement recommandable qui permettra de résoudre sans soucis les problèmes de choix. Et cela évitera à l'amateur compulsif que vous êtes de se transformer en philatéliste. Une dérive regrettable.
Enfin, si vous vouliez en savoir plus sur l'histoire de ce livre et celle de son auteur, nous ne saurions trop vous renvoyer à l'excellent article d'Emmanuel Carrère pour la revue XXI, intitulé A la recherche de l'homme-dé, que vous trouverez aussi à la fin de son dernier – et formidable – ouvrage Il est avantageux d'avoir où aller (POL, 2016).
A vos dés.
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