Et si finalement, les meilleurs romans éthyliques étaient ceux qui ne parlaient pas d'alcool ? La question vaut d'être posée – même si elle a finalement peu de rapport avec ce qui va suivre. Car James Lee Burke parle beaucoup d'alcool, c'est même un des personnages principaux de ses romans. Mais il en parle selon un parti pris qui donne le caractère de son oeuvre. En effet, le héros de la majeure partie des romans de James Lee Burke, l'incombustible Dave Robicheaux, ne boit pas. Ou plutôt devrait-on écrire : ne boit plus. On l'apprend dès le premier volume de ses aventures La pluie de Néon. A l'époque il est encore flic au NOPD (comprenez la police de la Nouvelle Orléans), fait équipe avec Cletus Purcell, niqueur et buveur invétéré, et tente de survivre dans les bas-fonds de la Nouvelle Orléans période dorée. Là, entre Bourbon et Decatur, dans ce qui est encore à l'époque la ville la plus violente du pays, Dave navigue à vue, dans le bayou de ses addictions et des souvenirs qui le hantent.
On présente souvent James Lee Burke comme le Faulkner du crime. C'est aussi vrai que faux. Faux parce que le crime n'est pas absent de l'oeuvre de Faulkner mais vrai peut-être pour la moiteur qui transpire du papier. Car le premier mérite de James Lee Burke tient à la puissance de ses descriptions, rédigées à la première personne et qui participent au portrait de Dave. Cajun attaché à son bayou, il se réfugie dans la contemplation de la nature pour ne pas sombrer à nouveau dans la gnôle.
C'est là le trait de génie qui marque le Cycle Dave Robicheaux. L'idée de mettre en scène un personnage qui lutte en permanence contre l'envie de boire et qui déploie pour ne pas sombrer une énergie sans relâche. D'autant qu'autour de lui tout le monde boit. Et son métier l'oblige à fréquenter les bars glauques du Vieux Carré plus souvent qu'à son tour. Quand Dave Robicheaux s'accoude entre un camé, une pute et un nervis de Tony Cardo et commande un Dr Pepper, se dégage de sa personne, une autorité et un caractère qu'un verre de whisky n'aurait pas rendu. Tout le pouvoir d'évocation de l'écriture de James Lee Burke.
D'autant que Dave accommode sa boisson favorite de bien des manières. Cerises, glace pilée et rondelles de citron quand il est chez lui, on the rocks dans les bars ou sec quand il se sert au distributeur du commissariat central. Parfois, il déroge et vide un Seven Up mais là aussi, la puissance d'évocation fonctionne à plein.
Malgré le régime sec du héros, on en apprend beaucoup sur les moeurs éthyliques de la Louisiane. Les hommes s'adonnent largement au bourbon-bière – Jim Beam et Jax glacée – les dames carburent au Collins et de temps en temps on voit passer un Julep, qui désigne simplement un whiskey allongé d'eau, boisson typique du Sud.
Cela dit, tout ça serait assez commun si l'alcool ne jouait pas un autre rôle. Narratif celui-là. Car dans la Paroisse de New Iberia et partout à Dixie City, tout le monde sait que Dave ne boit plus. Les gens mal intentionnés – et ils sont nombreux – s'échinent donc à faire replonger Robicheaux. Ils y parviennent parfois par la force – dans Une saison pour la peur, deux hommes le tiennent pendant qu'un troisilème vide une pinte de bourbon dans sa gorge – mais le plus souvent c'est la violence qu'ils incarnent qui renvoie le héros à ses vieux démons et le pousse à boire. L'écriture bascule alors, sous l'effet de l'alcool et le lecteur ne voit plus les choses que par les yeux vitreux d'un Dave Robicheaux sous emprise. Des pages poignantes le montrent buvant afin de pouvoir gérer le plus urgent, au sacrifice de ce qu'il avait réussi à sauver. "Tard dans l'après-midi, j'étais installé sous un parasol, sur le pont de ma péniche et j'essayais de remettre mon cerveau et ma journée d'aplomb à l'aide d'une bouteille de Jax." Il confie à Cletus qu'il arrêtera plus tard, quand les cadavres auront fini de flotter sur Bayou Teche et que le Vietnam ne s'invitera plus dans ses rêves d'insomniaque.
Au fil des vingt volumes du Cycle Dave Robicheaux, entamé en 1987, James Lee Burke dresse le portrait d'un homme complexe au coeur d'une ville traversée par les maux de son temps. Du Vietnam à Katrina, la violence est en lutte permanente avec la beauté du monde, dans laquelle Dave cherche un refuge précaire, à grands coups de Dr Pepper.
Ce portrait sans concession est le plaidoyer de James Lee Burke qui avouait lui-même :"La Louisiane est la poubelle de l'Amérique, son histoire est une tragédie. Pour moi, c'est comme être témoin chaque jour d'un crime dont je sais que, de mon vivant, il ne sera pas puni."
Dave Robicheaux ne l'aurait pas mieux dit.
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