Les loisirs de luxe et plus encore les plaisirs "de bouche" figurent pour l'humaniste libéral, social-démocrate sincère, la face émergée d'un iceberg plus droitier. Les alcools de qualité, rares, coûteux et donc sujets à une dégustation ostentatoire, sont souvent le sommet visible d'un continent moins avouable du positionnement politique. A ce titre, il peut être utile parfois de rappeler son entourage à l'orthodoxie de son obédience politique en buvant de façon virile un whisky de mauvaise qualité accoudé au comptoir poisseux d'un débit de boisson fréquenté par des jeunes. Mais là encore, une question demeure : lequel ?
D'ordinaire le choix proposé sur les ardoises de ce type d'établissement présente un collège homogène et généralement similaire de gnôles industrielles. "Les marques sont peu nombreuses sur ce segment" dirait Autoplus. Cela est certes vrai mais le choix n'est pas plus facile parce que tout est mauvais. Au contraire, difficile de surnager dans cet océan qui sent bon la cirrhose. Si l'objet principal d'une telle démarche est davantage social que gustatif, il faut éviter cependant de commettre quelques erreurs fatales. La première consisterait à commander un verre de ce célèbre alcool du Tennessee popularisé par ZZ Top et Patrick Swayze en lançant à la cantonade : "un Jack s'il vous plaît" afin de signaler par l'acronyme que vous maîtrisez les codes virils de la sociabilité de comptoir. Si vous êtes fébrile et sujet aux manipulations publicitaires, rappelez-vous au moment de céder à la tentation que sous couvert de vendre une boisson destinée aux bikers et aux videurs de boîtes de nuit, cette enseigne est de plus en plus populaire pour un mélange sucré dont le nom "Honey" est non seulement d'une polysémie douteuse mais figure en plus une sorte de pendant texan à la Smirnoff Ice - qui est, rappelons-le, à la vodka ce que la Pérestroïka était à la programmation brejnevienne. Non, impossible d'impressionner qui que ce soit en sirotant cet ersatz de whisky. Les autres marques emblématiques, JB's, Johnny Walker et donc Ballantine's ( trois millions de bouteilles vendues chaque année) ne présentent pas beaucoup plus d'avantages, au plan social comme au plan des papilles. C'est un choix plus radical qu'il faut opérer pour espérer s'élever à la hauteur de Harvey Torriti aka Le Sorcier, qui trompe les micros espions en écoutant la Traviata et l'ennui en buvant toute la journée "le plus mauvais whisky disponible" dans le pays d'accueil de l'antenne de la CIA qu'il dirige. Comme il s'agit généralement d'un pays satellite de Mitteleuropa on n'a aucune peine à croire Robert Littell quant à la qualité des boissons dont se sustente le héros de La Compagnie. Cela étant, il n'est pas facile de se procurer partout le "plus mauvais whisky disponible". Heureusement, Russel Banks apporte une réponse qui semble avoir du sens, par le biais d'un personnage éminemment romanesque qui voue un culte au Canadian Club et se suicide par ce biais dans un coin perdu du New Hampshire. C'est donc une bonne alternative car à l'heure de commander vous pourrez fleurir votre ordre de cette anecdote littéraire et justifier un choix discutable par l'émotion qui vous avait jadis étreint à la lecture d'Affliction. La conversation roulera alors sur la modernité du "roman américain" ce qui vous permettra avec un rien de travail préalable de deviser doctement et donc de boire peu, ce qui est essentiel quand on est face à un verre de Canadian Club.
Une autre alternative consiste à rester chez soi pour lire tranquillement en picolant des whisky de "qualité supérieure" mais ce n'est pas le sujet de la présente enquête.
D.N.
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