Le dernier stade de la soif c’est un peu le Caroni de la littérature éthylique et les Editions Monsieur Toussaint Louverture les Luca Gargano de l’édition française. D’accord. Mais qu’est-ce à dire ?
Eh bien… Que les lecteurs français amateurs de grands romans de picole – un style qui a largement périclité – auront dû attendre plus de quarante ans pour découvrir enfin ce chef-d’œuvre que les Éditions Monsieur Toussaint Louverture ont débusqué dans les fûts oubliés des lettres américaines. Découvrir ce livre c’est un peu comme ouvrir une bouteille de Caroni issue d’un tonneau qui aurait vieilli tout ce temps sous les tropiques.Et la part des anges de ce roman est bien réelle tant il est concentré comme un vieux rhum.
Tout commence évidemment dans un bar. Et comme dans tout livre sérieux, le personnage principal et narrateur, est fortement apparenté à l’auteur lui-même – bien que dans un avertissement au lecteur Exley s’en défende : « Meme si les événements décrits dans ce livre ressemblent à ceux qui constituent ce long malaise qu’est ma vie, l’essentiel des personnages et des situations est le seul fruit de mon imagination ». On sent le génie de la mise en abîme. Et d’abîme justement il en est question tant le récit ressemble à une chute programmée. Chute dont le point de départ est une crise cardiaque, ou du moins quelque chose qui y ressemble, qui saisit notre héros alors qu’il regarde tranquillement un match des Giants assis au comptoir du New Parrot, à Watertown, New York. Mais les signes sont trompeurs et Exley, les décortiquant, dresse en une fulgurance l’autoportrait de son personnage, qui nous le rend immédiatement sympathique.
« L’attaque, faute d’un meilleur mot, avait été provoquée par l’anxiété profonde et euphorisante qui s’emparait de moi avant chaque match des Giants, conjuguée à un week-end de soûlerie héroïque passé sans avaler le moindre morceau. Tous les week-ends, je parcourais les quelques quatre-vingts kilomètres qui séparent Glacial Falls de Watertown, où je passais la soirée du vendredi et toute la journée du samedi à boire du whisky, avant de réduire progressivement ma consommation le dimanche, à l’aide de quelques bières descendues au Parrot, les yeux rivés sur l’écran de télévision à encourager mon équipe. »
Le décors est planté. Un type qui pense que la bière ce n’est pas de l’alcool ne peut pas être un imposteur. Exley, c’est du sérieux. Sentiment confirmé quelques pages plus loin quand l’homme nous détaille son refuge :
« Le bar était idéalement isolé sur une colline dominant la ville. Assis au comptoir, je ne ressentais que rarement sa présence, et le cas échéant, elle n’était qu’un lieu de nostalgie sous mes pieds, un lieu empli d’ormes, de clochers et de rues aseptisées. Depuis le comptoir la ville n’était plus qu’un souvenir, un très lointain souvenir. »
L’homme est simple, qui avoue n’avoir « nul autre intérêt dans la vie que l’alcool et le football », mais poursuit plus ou moins secrètement le rêve d’écrire un chef-d’œuvre. C’est très proustien finalement. Oui oui. Et on plus on progresse plus c’est sensible. Notamment dans le programme que se fixe le Narrateur quand il décide de se mettre à la tâche et retourne pour se faire, vivre chez sa mère : « J’y passais le mois d’août à laisser pousser ma barbe, à lire et à me gratter les couilles ». Là, on touche au leitmotiv. A l’approche de l’été et des vacances, on se dit que suivre la voie de Fred Exley est une solution. Mais quand la retraite tourne au drame, on comprend qu’on ne s’improvise pas écrivain. La Vocation se paie au prix fort, et il manque de mourir après s’être alimenté uniquement d’Oreo devant la télévision.
Suivront plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, de multiples aventures douteuses et des choix irréfléchis, jusqu’au sursaut final qu’est le livre lui-même.
Ce roman, qui remporta aux Etats-Unis un grand succès d’estime mais se vendit peu, est à ranger aux cotés des chef-d’œuvres du genre. Entre Fante et John Kennedy Toole, pour le traitement qu’il donne du désespoir moral engendré par un malaise social. On pense à Kerouac qui part à Big Sur pour arrêter de boire et qui revient plus bourré que jamais et toujours sans solution. A Fan’s Notes (en V.O.) est le récit de l’incapacité au bonheur qui affecte ceux qui ne parviennent pas à opérer les choix nécessaires à une vie pacifique, immaturité qu’ils cachent souvent dans une prétendue vocation mais qui n’est rien d’autre qu’un mot pour un autre : le ghetto. La littérature est alors une exploration de l’incapacité à se conformer. On a trop souvent fait de ces auteurs des lectures déterminées par les bribes que nous savions de leurs vies, c’est une erreur certainement. Ce que cherche Exley c’est un moyen de vivre. On pense encore à Kerouac qui se plaignait des mecs qui venaient taper à son carreau pour aller faire du stop pendant les vacances. Il y a une condescendance à traiter ces écrivains comme les beatniks qui les suivirent. Leur littérature c’est autre chose, tellement autre chose.
En témoignent les aveux du narrateur à propos du conformisme que finissent par adopter les jeunes rebelles de jadis : « C’est ainsi que finirent la plupart d’entre nous. Pas moi ; mais je suis certain que mes amis avaient raison et moi tort. Ils étaient heureux, et je ne l’étais pas. Ils avaient choisi la difficulté et moi la facilité. Romantique et autodestructeur, je prenais nos railleries pour un pacte éternel ».
Dont acte.
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