Un cocktail pour déchiffrer le monde ? Certes, on peut douter que l'état d'ébriété aiguise notre acuité géopolitique mais une recette de cocktail peut en dire long sur les temps qui l'ont vu naître. On pense par exemple au remplacement du cognac par le bourbon dans la recette du Sazerac – à cause du phylloxera qui dévorait les vignes du Vieux Continent – , on pense un peu moins par contre au White Iranian, inventé par des fans du Dude en Iran, condamnés au régime sec par le Guide Suprême.
Alors si comme moi vous n'avez jamais rien compris à la révolution qui pousse le Shah à quitter l'Iran par un trou de souris en 1978, ce roman est fait pour vous. Pour d'autres raisons aussi mais de cela, il est question partout ailleurs. Alors concentrons nous sur la dimension éthylique de ce nouvel opus.
Tous les fans de Mathias Enard ont la nostalgie de Zone, de la confession imbibée de Francis Sirvain Mirkovic et du roulis ferroviaire de sa phrase unique. Franz Ritter – profession orientaliste – ne prend pas le train mais voyage dans la nuit solitaire et insomniaque de ses souvenirs. Il nous entraîne au travers de ces pays vagues et lointains, les fameux climats des voyageurs médiévaux, qui composèrent au fil des siècles cet Orient fantasmé qui fit courir à l'Est les écrivains, les peintres et les mystiques, les poètes, les vendeurs d'armes et les drogués – chaque profil n'est bien entendu pas limitatif (#Rimbaud comme disent les jeunes).
On en arrive ainsi aux années que le narrateur a passées dans le Téhéran des mollahs à l'ombre de son amour pour Sarah qu'il tente vainement d'oublier dans la recherche en musicologie – et aussi un peu dans l'opium.. Au milieu des digressions et des réminiscences, un autre récit se compose bientôt, sous la forme de la confession – là aussi sérieusement imbibée – de Gilbert de Morgan dans son jardin de Zafanariyé.
On est alors heureux d'apprendre que les fonctionnaires français en poste à Téhéran, réduits à la figuration par le nouvel ordre politique, s'occupèrent à faire du vin dans les sous-sols de l'Ambassade. Hasard de l'histoire, la première cuvée consulaire fut appelée Cuvée Neauphle-le-Château, non pas pour rendre hommage à la retraite éthylique de Marguerite Duras mais en raison du nouveau nom de l'avenue où la représentation française était sise. Mais pourquoi donc avait-on renommé ainsi cette artère ? Le Guide voulait-il rendre hommage à une femme qui dans La vie matérielle avouait boire dès le matin ? Avouons que cela aurait ressemblé à une sérieuse faute de goût de la part de l'homme fort du régime sec. Heureusement, le Guide voulait simplement saluer la France qui avait été à la hauteur de sa réputation de Patrie-des-Droits-de-l'Homme en lui offrant l'asile dans la petite commune des Yvelines.
On l'aura compris, le roman de Mathias Enard déborde d'érudition. On peut évoquer par exemple la formidable histoire du comptoir de Kiautschou que Bismarck racheta aux Espagnols pour y fonder un des points les plus orientaux de l'Empire du Casque à Pointe. "La dernière trace du colonialisme allemand est une bière" écrit-il avant de nous apprendre qu'une des lointaines conséquences du Kulturkampf fut l'établissement en Extrême Orient d'une brasserie afin de permettre aux expatriés de tenir le coup. Machines, cuves, houblon et maîtres brasseurs débarquent. On installe dans la capitale du comptoir – la bien nommée Tsin-Tau – de quoi noyer "le spleen" des "quelques ethnologues tremblotants" et autres "administrateurs des colonies" perdus dans le finistère de feu l'Empire Mandchou.
Si Michel Houellebecq expliquait à David Pujadas lors de la parution de Soumission que les livres étaient rares qui pouvaient prétendre changer notre vision du monde, il faut avouer que Boussole est peut-être de ceux-là. Après sa lecture on ne verra plus jamais une canette de Tsin Tao du même oeil. Merci la littérature donc.
On a toujours du mal à quitter un grand roman. Il est souvent difficile d'en sortir. Pour rester dans l'ambiance plusieurs solutions s'offrent à vous. Vous pouvez par exemple, faire l'acquisition d'un réveil mosquée comme celui que possède un des personnages du livre et qui vous tirera du lit à cinq heures du matin au son de l'adhan criard d'un muezzin électronique. Vous pouvez aussi vous plonger dans l'oeuvre hallucinée de Sadegh Hedayat, sorte de William Burroughs Perse et regretter de ne plus avoir à couper les pages des éditions José Corti. Enfin, vous pouvez vous concocter le fameux White Iranian. A cette fin, nous vous en livrons la recette exclusive. (#merciwhiskyeaks).
Dans un verre type Old Fashion mélangez :
– 10 ou 15 cl de yaourt liquide dough
– 6 cl d'eau de vie iranienne
– un tour de poivre.
Si vous êtes certain de la provenance des glaçons, ajoutez en.
Si elle nécessite un peu de courage, cette recette vous permettra de vous plonger dans le quotidien d'un pays condamné au sevrage, une expérience sans aucun doute intéressante.
Si vous n'avez pas le courage, vous pouvez toujours lire Boussole, un roman formidable dont le souffle vous portera plus certainement en Orient que ce cocktail douteux.
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