Brora 3rd Release (56.6%, OB 2004) et Brora 6th Release (55.7%, OB 2007): La Condition Postmoderne!

Brora est un nom qui fait couler des geysers de bave du coin des babines des amateurs de single-malt, une distillerie disparue totem dont la réputation a été en grande partie façonnée par les special-releases annuelles de la maison mère Diageo. De l'eau a coulé sous les ponts depuis que le premier de ces embouteillages est apparu en 2002, nous en sommes désormais à  la quatorzième mouture, un 37 ans qui est sans doute magnifique mais devenu tout à  fait inabordable pour le petit peuple du malt. 

 

Parmi ces embouteillages officiels, il semblerait que les Brora 3rd release et Brora 6th Release soient parmi les mieux notés par les amateurs. Tous deux sont âgés de 30 ans mais ne sont pas millésimés, il est donc probable que de plus vieux whiskies aient été ajoutés au moment de l'assemblage. Entre la réouverture de la distillerie en 1967 et sa fermeture définitive en 1983, le profil de Brora a évolué, passant d'un whisky vieux style tourbé et huileux à  un style plus moderne et crystallin proche de celui de Clynelish. C'est vers le milieu des années 70 que le changement semble s'être opéré et si l'on a un peu de chance on devrait pouvoir s'en rendre compte en goutant ces deux expressions officielles de la légendaire distillerie...

 

Brora 3rd Release (56.6%, OB 2004)

 

Brora 3rd Relase 2004

Œil : Doré

 

Nez : Commence sur l’iode, le sel et un peu de fumée, sans doute le coté « Coastal Highland » si fièrement affiché sur l’étiquette. Miel et fleurs des champs, puis des notes fruitées qui tendent sur le verger : pêches et abricots. Viennent ensuite du cuir et de légères effluves de souffre puis un poil de vanille. Des épices aussi, de la menthe et de l’eucalyptus et un poil de fraise et de goyave sur la fin. Le fameux coté fermier se découvre après une dizaine de minutes dans le verre et rappelle vaguement les étables du sud-Aveyron ou, dans mon enfance, je me suis souvent roulé dans la paille : on pourrait presque songer a en faire du Roquefort… Luzerne fraichement coupée puis tourbe matinée de miel complètent un très beau panorama.

 

Bouche : Gros pressing d’entrée avec un aspect ciré qui en impose ; iode et sel mais surtout des impressions tourbées qui sont plus évidentes qu’au nez. Il y aussi des notes de chocolat malté qui forment une porte d’entrée vers le champ sémantique de la ferme qui est également bien plus prononcé qu’au blair. On s’introduit dans la fente pour tomber sur un univers minéral dans lequel on s’attendrait presque à croiser des trilobites, l’époque cambrienne et l’origine du monde (#gustavecourbet). Un monde de détails semble s’ouvrir devant nous : fumée légère, prunes séchées amères, bois, cuir, amandes salées, et encore un poil de foin et d’étable qui donnent un coté lacté a la chose. Sur la fin on tombe sur de la réglisse noire puis des huitres et des algues séchées qui dévoilent un coté marin jusqu’alors insoupçonné. Complexe comme des strates géologiques : le whisky fossile.

 

Finale : Longue. Sur le chocolat noir extra pur, le sel, et la minéralité bien de chez Clynelish/Brora.

 

Du gros, gros matos. Complexité et pouvoir de suggestion impressionnants. L’aventure intérieure et les trilobites en plus. C’est pour ce genre d’expérience que l’on boit du whisky… L'intuition créatrice: un whisky Bergsonien...

 

Note : AAA (Henri Bergson)

 

Prix : 1000 euros et plus (Trilobites)

 

Brora 6th Release (55.7%, OB 2007)

 

Brora 6h Release 2007

Œil : Doré foncé (un poil plus bronzé que le 3rd release)

 

Nez : Plus fermé que le 3rd release. Embraye sur des notes de fruits ultra-murs et des impressions plus capiteuses. Il y a plus de cuir aussi, du cola et des notes plus vertes, de feuilles humides et de sous bois. Un coté plus automnal alors que le 3rd release dans l’exubérance estivale. Au coin du bois, on trouve de l’iode, des bonbons au miel et une once de tourbe lointaine. Paraît plus sucré aussi. Forte impression d’eucalyptus sur la fin.

 

Bouche : L’influence du sherry semble plus évidente. Plus épais en bouche, même si l'on retrouve la cire idiosyncratique et de l’huile. Fait parler le bois avec, pêle-mêle du cuir, du cola, du caramel brulé. Minéralité plus évidente aussi des le début qui souligne aussi un coté plus moderne à la Clynelish. Moins de tourbe mais plus d’épices : piments de Cayenne, clou de girofle et poivre blanc. La langue s’assoupit un peu et l’alcool se fait plus présent. J’ai certainement fait l’erreur de ne pas y mettre quelques goutes d’eau, il va falloir penser à une séance d’autoflagellation…

 

Finale : Longue. Toujours plus minérale et iodée, un poil de chocolat et des bonbons au caramel.

 

Note : AA+ (Jean Francois Lyotard)

 

Prix : Autour de 1000 euros (Tétrapodes)

 

On a une légère préférence pour le 3rd Release mais on ne jettera pas pour autant l'autre aux cochons... Le 6th Release a un profil assez différent et plus moderne qui permet de voir l’évolution de la distillerie a partir du milieu des années 70. Même si ces deux expressions n’indiquent pas de millésime, on sent bien le basculement qui s’opère vers un style « Clynelish » plus austère et minéral à partir années 1975-1976. Chez Brora, comme beaucoup d’autres distilleries, apparait le changement de direction dans l’industrie du whisky qui semble s’éloigner des méthodes semi-artisanales héritées de la révolution industrielle au profit d’une rationalisation de la production: L’avenement de la condition postmoderne (#jeanfrançoislyotard). 

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