"Je te laisse le Brora mais tu me promets de faire un article". Tels furent les derniers mots de Bertrand, me remettant le précieux flacon avant de quitter le pays. Balançant entre bonheur et anxiété j'acceptai le présent, conscient des responsabilités qui pesaient désormais sur mes épaules et de l'importance de la mission qui m'était confiée. Seulement 2944 bouteilles ont été sorties du fût par Diageo en 2013, chaque goutte vaut donc son pesant d'or.
Refusant de goûter le chef-d'oeuvre pour me détendre après l'usine ou devant un match de football, j'attendais patiemment que l'occasion se présentât de décapsuler le bordel. Le moment vint pourtant d'une dégustation de haut vol au programme de laquelle je me décidais à inscrire le Brora.
Ce soir là, et après un week-end sérieusement arrosé, nous avions décidé de gouter un Auchentoshan 1988 et un Glengarioch 1998 tous les deux vieillis dans des fûts de vin (on vous en avait parlé ici ). Le Brora était pour le dessert. Après ces deux whiskies particulièrement épais et voluptueux et les tempes encore vibrantes de nos excès, le Brora avait été une révélation. Un peu comme celle qui frappe Roland Barthes en voyage au Japon quand il découvre en mangeant une tempura, l'art "du léger, de l'aérien, de l'instantané, du fragile, du transparent, du frais, du rien, mais dont le vrai nom serait l'interstice sans bords pleins, ou encore : le signe vide." Ce Brora c'est tout cela, un whisky tellement fin qu'il semble vous échapper. Euh... oui d'accord, mais encore ?
Oeil : or transparent
Nez : cuir lustré un peu usé, graisse, miel et cire d'abeille. Une ambiance d'étude de notaire. S'ouvre ensuite sur des fruits , abricots, pêches de vignes puis vient du foin, de la terre. Une grande minéralité et déjà, quelque chose de l'ordre de l'insaisissable.
Bouche : C'est sa légèreté qui frappe d'abord. On a l'impression que le whisky nous fuit. C'est la délicatesse portée à son sommet. Une légère astringence nous remet les pieds sur terre puis la fumée nous réveille. C'est la finesse incarnée. Chaque touche se déploie discrètement. On est encore frappé par le côté minéral et terreux qui donne un corps encore plus complexe à l'ensemble.
Finale : Longue évidemment – j'ai l'impression qu'elle revient en écrivant ces lignes – qui tire sur le minéral et des arômes de chocolat amer qui ne nous n'avions pas encore sentis. L'immense finesse ou la finesse sans fin. Magnifique.
Note : AAA (Roland Barthes)
Prix : Plus de 1000 euros (Mythologies)
Donc, à l'heure où Roland Barthes fait à nouveau l'actualité littéraire à cause de la parution de La septième fonction du langage de Laurent Binet, mieux vaut peut-être boire un verre de Brora pour se rappeler à son souvenir et se glisser dans L'interstice. Considérons alors ce whisky d'exception comme "un produit dont le sens n'est pas final mais progressif, épuisé pour ainsi dire, quand sa production est terminée, c'est vous qui mangez [buvez] mais c'est lui qui a joué , qui a écrit, qui a produit." Qui dit mieux ?
Mais que buvait -vraiment - Ernest Hemingway ?
Glenmorangie Allta, la levure avant les fûts
Habitation Velier : le prix de la transparence.
Avec D.U.C. Booba invente le LOL whisky
Avec D.U.C. Booba invente le LOL whisky