Gravesend. William Boyle en plein dans le 1000.

Pour le numéro mille de sa collection culte, François Guérif a décidé de rester vrai en donnant la parole à un auteur inconnu dont on entend pour la première fois parler au pays. 

Disquaire à la ville, William Boyle a choisi de mettre en scène un quartier de Brooklyn bien éloigné du lebensraum hypster auquel on pense à première vue quand on évoque l'arrondissement du Sud de New York. A Gravesend, pas de IPA ou de Hudson Rye consommés la fesse sur le fixie mais de la Olde English et du Dewar's avalés cul sec sur le capot d'une bagnole sans moteur.

 

Brooklyn sec

Le roman débute avec la libération d'un certain Ray Boy Calabrese qui purgeait une peine longue durée pour sa responsabilité dans la mort de Duncan D'Innocenzio (sic). Le frère de la victime, Conway, attendait fébrilement la libération du meurtrier pour rendre enfin justice à l'innocent Duncan. Le tableau est posé, dans cette enclave italienne où les pizzas transpirent le gras du pepperoni et où les boutiques encore ouvertes sont soit des pressing soit des pizzerias soit les deux, on est pas loin du récit de vengeance à la Sicilienne avec mémés en noir et ersatz de parrain mangeant des spaghettis.

Mais non car William Boyle penche plus du côté de David Simon que de celui de la mafia d'opérette. L'intrigue immédiatement dévoilée est de celles qui restent en tête : bien qu'il se dise déterminé et se soit passablement entraîné avec son pote McKenna  – un ex-flic alcoolique — Conway se révèle vite bien incapable de tuer un homme. Pire, Ray Boy Calabrese, l'ancien voyou au corps en fonte ne veut plus vivre et n'attend qu'une chose, que Conway le tue. Quand on a dit ça on a tout dit ? 

Oui et non car si une bonne idée fait rarement un bon livre, il faut reconnaître que les grands romans noirs partent généralement d'une situation qui dévoile toute la singularité de l'auteur.

 

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William est un romancier et disquaire américain. Il vit à Brooklyn

 

Hard Boyle style

Après il faut les autres ingrédients. Soit les personnages et les décors. Et pour le coup c'est réussi. Car sur ces protagonistes vient se greffer toute une panoplie de portraits plus vrais que nature, depuis Alessandra, la bombasse du lycée partie tenter sa chance et l'Ouest et qui revient piteusement dans le quartier – mais continue à faire la belle –, Eugène le pré-délinquant qui vit dans l'admiration de son oncle Ray Boy et ne parvient à survivre à la déception de le voir ramolli par les années de prison ou encore Stéphanie, pharmacienne et encore vierge à trente ans. Il y a aussi tous les vieux misérables, les parents Italiens chez qui vit encore cette génération de glandeurs, bref, tout y est. Rap de l'âge d'or, rock indépendant, la bande son est à la hauteur du reste. Du bon matos. 

Ajoutons à cela que tout ce petit monde picole gaiement et on est pas loin de penser que William Boyle s'inscrit avec ce premier roman dans la grande tradition du hard boiled

Oui mais voilà. Le temps passe et nous sommes en 2016. Trente ans après le numéro un de la collection, d'un certain Jim Thompson. Alors certes, face au "Céline Texan" tout peut paraître adouci mais c'est aussi le temps qui veut ça. Laissons cependant le bénéfice du doute à William Boyle qui est peut-être vraiment alcoolique. Il faut reconnaître qu'il en parle particulièrement bien et n'utilise jamais la gnôle comme une simple ornementation décorative. Il est dans la ligne, une ligne qui est aujourd'hui marquée par de nouvelles figures tutélaires, une manière plus sociologique et moins psychologique, l'influence de David Simon se mesure à cette aune. Personne ne sera sauvé, la lutte n'est pas celle du bien contre le mal mais bien celle de la définition de ce qui est bien et de ce qui l'est un peu moins. Ou l'inverse. 

olde englishdewar's

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ci-dessus, notre proposition pour l'accord mets-vin. Le Dewar's White Label est disponible en France sans difficulté, il se distingue par un goût d'éponge et une attaque râpeuse mais n'a jamais rendu personne aveugle. Une gorgée de Olde English ne sera pas de trop pour faire descendre le sirop, même si elle est un peu plus difficile à trouver chez nous – mais nous ne manquons pas en Europe de brasseries capables de fabriquer de la bière lourde et tiède à prix compet.  

N'hésitez donc pas et plongez pour une virée  dans la noirceur sans relâche de l'archéo Brooklyn. 

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William Boyle, Gravesend, Rivages 2016, 350 p.

 

 

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