Affres du succès, la dégustation de whisky est en train de remplacer la soirée poker chez les hommes de trente ans et plus. Indéniablement plus épanouissante, la réunion de dégustation n'en reste pas moins un art socialement délicat. Il convient donc de respecter certaines règles afin que la soirée tant attendue ne se transforme pas en réunion de philatélistes.
1- Les hommes
Une dégustation c'est avant tout une aventure humaine. Alors réfléchissez bien avant d'inviter votre collègue de bureau au seul prétexte que vous l'avez un jour surpris en train d'acheter du Caol Ila sur CDiscount. Il vaut mieux tenter d'initier un ami profane plutôt que passer plusieurs heures dans un endroit confiné en compagnie d'un amateur avec lequel vous n'échangerez rien d'autre que des commentaires de dégustation. Rappelons que dans ces conditions, un dialogue peut s'avérer être un grand moment de solitude :
– Quel nez !
– Oui oui, ça sent bon.
– Le bois, les fruits, et derrière, un peu de rhubarbe fumée.
– Oui oui c'est très net.
Une dégustation, sur le plan lexical peut vite tourner en parodie de théâtre de l'absurde, alors pour vous éviter ces désagréments et ne pas vous faire prendre la tête parce que vous avez trouvé des accents de mine de crayon à un Brora légendaire, constituez un cénacle de gens biens sous tous rapports auxquels vous n'êtes pas liés par le seul goût du whisky.
2- Le matériel
Après le choix des hommes, le choix des armes. C'est l'autre élément important. Vous ne pourrez pas tout goûter en une soirée. Il faut donc hiérarchiser vos priorités et opérer un choix cohérent. Soit problématiser votre soirée comme une dissertation de Terminale.
A première vue, la bonne attitude serait de sélectionner des whiskies issus des principaux terroirs. Soit un Speysider, un Islay, un Highlands etc... Mais on sait que ces divisions administratives sont chacune d'une grande plasticité. Cette démarche peut générer quelques écueils. Mieux vaut donc sélectionner des distilleries au caractère bien trempé afin de proposer des goûts caractéristiques. Un tourbé, un sherry, un bourbon cask bien choisis peuvent faire l'affaire (quelques conseils ici).
Sachez que l'on vous demandera certainement un whisky japonais, c'est l'occasion de sortir votre dernière bouteille de Yoïchi 10 en disant à vos commensaux qu'ils boivent quelque chose de disparu. Cela fait toujours son petit effet.
On en vient donc justement aux raretés qui transforment une dégustation en un moment mémorable. Ce qui est rare est cher, l'équation est bien connue. Il faut donc peut-être privilégier les échantillons disponibles sur les sites spécialisés (ici, ici ou encore ici) plutôt que casser son PEL pour acheter une bouteille de Karuizawa.
Dernière possibilité, la verticale. Rassurez-vous, je ne tente pas de pimenter votre soirée par une proposition grivoise, il s'agit simplement de goûter successivement plusieurs expressions de la même distillerie. C'est très intéressant et souvent instructif si vous disposez de millésimes anciens qui permettent de voir l'évolution de la production.
3- Le mode opératoire
Là encore, il ne faut pas prendre les choses à la légère. Dans le cadre d'une dégustation panoramique ne pas placer la grosse tourbe au début de la chaîne, sous risque de se brûler les papilles. Organisez une progression cohérente qui prendra en compte les degrés d'alcool et la puissance des whiskies. Par exemple, un jeune bourbon cask, un sherry et le tourbé.
Si vous disposez de quelques flacons légendaires, évitez de les servir au début. Commencer la soirée par un Longmorn des années 60 (excellent vraiment) risque de faire passer tout le reste pour de la gnôle insipide.
Mais pour prudente que soit cette démarche elle comporte un risque. Celui d'être saoul quand arrive le dernier flacon, le clou de la soirée. Ce serait dommage. La gestion de l'ivresse est en effet un enjeu important.
4- L'ivresse
La première fois que je me suis rendu à une dégustation, j'ai été très surpris de rentrer chez moi sobre comme un moine janséniste. C'est que nous avions passé la soirée à vider nos verres dans un seau à Champagne préalablement rempli de sable. Et encore j'avais refusé de cracher le peu que je buvais. – Sur ce point, le débat est sans fin mais il semble difficile d'apprécier un whisky sans juger de sa finale. Enfin bref... –
Toujours est-il que dans le monde de la dégustation, alcool et ivresse semblent déconnectés. Philosophiquement cela ne laisse pas de me heurter car le whisky n'a pas été inventé pour être craché dans un seau. Il doit y avoir cependant une différence entre boire et déguster que je n'ai pas encore saisie. Simplement peut-être parce que je demeure convaincu que si "la civilisation est apparue avec la distillation", l'ivresse doit bien avoir un rôle dans tout ça. Et puis rappelons-le, vous êtes en train d'organiser une soirée entre amis, alors sachez profiter et ne jouez pas les peine à jouir sous prétexte d'amateurisme éclairé. Soyez prudents cependant de garder un peu de lucidité pour le bouquet final et ne videz pas un verre de Port Ellen comme vous buviez jadis du Clan Campbell avec les mêmes amis sur le parking du Macumba Night.
Pour combattre l'ivresse, un autre allié est l'alimentation. Et même si vous avez été élevé au mantra "manger c'est tricher", sachez qu'un ravitaillement à mi-parcours peut s'avérer salutaire. Loin de moi l'idée de vous pousser à tenter d'organiser des accords whisky-fromage ou je ne sais quoi d'autre. Laissez cela aux amateurs de fromage. L'idéal en matière de préparation est de se lancer le ventre plein – évitez cependant de manger un curry violent avant de rejoindre vos amis. Il va s'en dire aussi qu'il n'est pas non plus très prudent de vider plusieurs pichets de la cuvée du patron avant de vous mettre au travail.
Enfin, dernier conseil, sachez vous comporter en homme du monde. N'écrasez pas vos invités de votre immense culture technique, aiguisez plutôt leur curiosité en leur servant vos meilleures anecdotes de fin connaisseur. Dans ce registre, préférez les conseils de Jean-François Manatane à ceux de Nadine de Rothschild.
MESSIEURS, l’époque Downton Abbey est révolue ! La dégustation de whisky ne s’adresse pas qu’à la moitié couillue de la population mondiale, vous avez le droit d’inviter Mesdames à votre petite sauterie (eh oui, les nanas amatrices de breuvages maltés sont toujours très étonnées de ne jamais se voir proposer par la gent masculine un petit godet de Lagavulin 16 ans à la fin des dîners).
A quand une plume féminine chez Whiskyleaks ? 😉
Objection acceptée ! Pour ma défense j’évoquerais un problème de tournures. L’emploi du masculin n’etait pas limitatif. Il est bien entendu que nous sommes particulièrement attentifs aux affaires de parité, d’autant plus qu’un des meilleurs spécialistes français est une femme !