C’est devenu une sorte de rituel; à l’approche des fêtes de fin d’année, l’arrivée sur le marché des Diageo Special Releases met en émoi le petit monde des amateurs de single malt. Cette série spéciale est l’occasion, pour le leader mondial des spiritueux, de mettre en avant certaines des distilleries les moins connues de son portefeuille, mais aussi d’envoyer du lourd avec de nouveaux embouteillages des mythiques et disparues Brora et Port-Ellen.
Suivant de près la croissance exponentielle des prix du single malt, la plupart des embouteillages qui font partie des special releases sont devenus inabordables pour le commun des mortels. Alors qu'il était encore possible de se procurer une bouteille de Port Ellen pour environ 300 euros il y a de cela 5 ans, il faut désormais compter autour de 3000 euros pour la dernière mouture. Autant dire que cela met hors jeu ceux d'entre nous qui nous qui ne roulent pas en Porsche ou qui n'ont pas l'intention de griller le livret A de leurs enfants pour se faire un petit plaisir solitaire...
C'est de Lagavulin, avec l'expression 12 ans Cask Strength, que nous vient sans doute le meilleur coup de cette série spéciale, un whisky que certains adorent, d'autres un peu moins, mais qui a l'énorme avantage d'être relativement abordable. Entre ces deux extremes on trouve cette année sept autres embouteillages (dont un whiskies de grain). Petit tour d'horizon.
Le whisky pour nous, la plèbe!
Pour ne pas s'aliéner le "petit-peuple", Diageo a eu l'intelligence de faire du Coal Ila Unpeated et du Lagavulin 12 ans Cask Strength deux des expressions indéboulonnables des special releases. Le premier met en avant le distillat non-tourbé produit par la plus grande distillerie d'Islay (par la taille) et généralement réservé aux blends du groupe. Pour environ 120 euros cela reste honnête, pour les inconditionnels de la distillerie. En ces temps de disette et de prix gonflés, le Lagavulin 12 ans Cask Strength constitue une véritable aubaine (environ 100 euros). On est d'ailleurs toujours surpris de voir que nombreux sont ceux qui se jettent sur les "séries limitées" Arbeg en se permettant d'ignorer cette merveille. Un whisky adoubé par le malt maniac Serge Valentin dans une note de dégustation élogieuse. Un beau cadeau de noel pour amateur de tourbe aussi...
Le NAS pour les mecs qui en ont (du flouz)
Le Clynelish Select Reserve, le pauvre porte un nom à la con tiré de la premiere page du petit bréviaire en marketing de spiritueux, et jusqu'alors plutôt réservé aux whiskies d'entrée de gamme (genre Glenrothes Select Reserve ou Yamazaki Distiller's Reserve). Fait suite à l'expression 2014 du meme nom et ne laisse rien présager de bon pour cette distillerie que l'on aime beaucoup et que Diageo semble avoir décidé de ranger dans la catégorie "luxe," comme Mortlach. Si l'on devait claquer 700 euros dans une bouteille ce ne serait certainement pas celle là, au suivant!
Whisky de grain, peau de chagrin!
Les stocks de vieux single-malt s'amenuisent et l'on a vu beaucoup d'embouteilleurs indépendants (notamment Douglas Laing) mettre sur le marché de vieux whiskies de grain, une façon de liquider les stocks, de faire rentrer de la maille, et de donner l'impression que l'on a du super vieux matos sous la main. Sentant le bon plan cul de fin de soirée, Diageo emboite le pas aux playboys de sous-préfecture et nous sort un vieux whisky de grain, un Caledonian 40 ans (distillerie fermée en 1988) qui nous est proposé pour la modique somme de 1000 euros. Meme sur une proie fatiguée cela sent le beau râteau...
On est là pour faire le Nombre!
Cela fait aussi partie de la tradition des Special Releases: les embouteillages pour faire le nombre. On en compte trois (en mettant de coté ce pauvre vieux Caledonian). Le premier, un Pittyvaich 25 ans (environ 350 euros), distillerie disparue dont tout le monde se fout (construite en 1974 et fermée en 2002) et dont on peut trouver d'autres expressions pour bien moins cher... Le second, un Dalwhinnie 25 ans (un peu plus de 300 euros), une distillerie que Diageo semble chercher à pousser ces derniers temps. A noter que l'on peut encore trouver la version 2012 du meme age pour un peu moins de 200 euros ici. Avec la différence on peut quand meme s'acheter le Lagavulin 12 ans... Le troisième larron est un Dailuaine 34 ans, une distillerie à blends du Speyside dont le whisky a plutôt bonne réputation, mais à 500 euros on peut sans doute beaucoup mieux dépenser son argent. On s'appelle?
"Reste cool, sac à merde"
Phrase mythique de Terminator 2, quand le T-800 apprend à faire des combinaisons avec les insultes que lui refile le jeune John Connor, et que l'on a envie de gueuler en voyant les prix des deux stars du groupe que sont Port Ellen et Brora. Premiere surprise le Port Ellen n'est pas, comme à l'accoutumée, un millésime 1978 ou 1979, mais un 1983 (année de fermeture). Sont-ils à sec? Il faut poser la question au Colonel Haessler de "La Bataille des Ardennes." Port Ellen 32 ans donc, environ 3000 euros, quand on sait que l'on peut trouver des expressions similaires entre 500 et 1000 euros, et les merveilleuses special releases 9, 10 et 11 pour un poil plus on se demande qui va bien vouloir lâcher tant de blé pour celui-ci... L'expression que l'on aimerait vraiment gouter c'est le Brora 37 ans (1800 euros) meme si, bien entendu, il vaut mieux garder l'argent pour s'acheter une mobylette pour ne pas rester bloqué dans les bouchons en allant au boulot, et pouvoir dormir 15mn de plus tous les matins... Si l'on met en rapport l'aura de la distillerie et l'age du whisky avec les prix actuels on en vient presque à se dire que c'est une affaire. Monde de merde!
Conclusion
Comme on le disait au début, mis a part le Lagavulin 12 ans CS et le Caol Ila 17 ans, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Le Clynelish serait sympa s'il coutait quatre fois moins cher; on touche le Brora et le Port Ellen avec les yeux; quant aux autres expressions, on aura vite fait d'oublier qu'elles existent. A noter que pour la deuxième année consécutive il n'y a pas de Talisker, on se demande ce qu'ils sont en train de mijoter avec la distillerie de Skye... Les temps sont durs!
Le prix délirant des expressions qui composent ces séries spéciales n'a de sens que si l'on s'interroge sur ses effets psychologiques. En gonflant artificiellement les prix des whiskies milieu et haut de gamme, dopés à coups de packaging et de séries limitées, les producteurs comme Diageo, Edrington, Moet Hennessy et autres, parviennent à nous vendre du rêve inaccessible et finissent par rendre beaucoup de whiskies médiocres et sans mention d'age désirables. Quand le nouveau Port Ellen 32 ans se vend 3000 euros, tout le reste parait bon marché... Tant que Diageo ne touche pas au Lagavulin 12 ans, on aura toujours de quoi se réjouir. Le reste, on le leur laisse...
On laisse le dernier mot à Schwarzy:
Super article! Merci pour l’analyse sans langue de bois :).
Merci!