L'histoire du rum n'est pas un long fleuve tranquille, de la culture de la canne en Nouvelle-Guinée il y 10 000 ans à l'explosion de la scène Tiki en 1934, tout ne s'est pas fait sans heurts. Entre les guerres coloniales, l'esclavagisme et les éruptions volcaniques le rhum s'est construit sur un terrain fragile. Petit aperçu de la grande histoire du rum en 8 dates clés.
On ne saurait que trop vous conseiller la lecture de "Rum the manual" de l'excellent Dave Broom ainsi que l'Atlas du Rhum de Luca Garagano (la mise en page et le style ne sont pas dingues mais les infos sur les distilleries sont précieuses). On reviendra certainement avec un article sur l'histoire du rhum agricole qui mériterait un bouquin à lui tout seul.
IIIè siècle
Originaire de Nouvelle-Guinée, la canne à sucre fait son apparition sur le continent Asiatique autour de 1000 av. J.-C. Néarque, un commandant de la flotte d’Alexandre le Grand, la mentionne en 327 av. J.C., il la décrit comme un roseau dont on fait du miel sans le secours des abeilles. Son sucre est largement utilisé en Inde et en Chine pour ses qualités thérapeutiques. Les hommes ne manquant jamais d’idées pour s’en coller une, ils la font fermenter pour produire un vin de canne. La suite relève d’une logique implacable, ce vin est alors distillé. La première mention d’un distillat de canne se trouve dans l’Arthashàstra, un traité indien, paru entre 375 av.J.C. et 300 ap. J.C. Le rum était né ! La canne à sucre se diffuse ensuite en Perse mais elle n’arrive en Europe qu’à partir de 637 lorsque les arabes la découvrent. Elle envahit alors le pourtour méditerranéen.
XVè et XVIè siècles, les ibériques font voyager la canne
En 1425, le prince portugais Henry le navigateur, apporte la canne à Madère et au Cap-Vert. Pendant ce temps les espagnols en plantent aux Canaries. Lors de son second voyage en 1493, Christophe Colomb l’embarque sur son bateau en direction de St Domingue, tandis que dès le début du 16è siècle, les portugais la diffusent au Brésil. Les espagnols consacrent leur énergie à amasser or et argent, sur leurs possessions la canne n’est cultivée que pour satisfaire la demande interne. Son développement est plus intensif au Brésil. Le général Tomé de Souza raconte que les esclaves buvaient alors de la cachaço (l’ancêtre de la cachaça) dès 1552. Il s’agit de la première mention d’un spiritueux de canne sur le nouveau monde.
XVIIè siècle, les britanniques s’en mêlent
Le 20 février 1627, 80 colons et 10 esclaves débarquent à la Barbade. Après l’échec de leur première récolte, ils se lancent dans la culture de la canne qui s’acclimate très bien. En 20 ans, l’île des caraïbes devient le fleuron britannique de la canne à sucre et ce ne sont pas moins de 75 000 personnes qui travaillent pour cette industrie. La Barbade est à cette époque la colonie britannique la plus riche. A la fin du XVIIè siècle, les plantations y sont plus avancées que n’importe quelle exploitation agricole de la mère patrie. Le rum y est largement consommé et très vite l’avidité des colons les pousse à tout baser sur la monoculture de la canne. L’île n’est plus qu’une immense plantation. Les sols s’épuisent et les planteurs partent vers de nouvelles destinations, St Kitts, Antigua, Guyana et la Jamaïque en 1655.
XVIIIè siècle, le rum s’impose en Europe
Initialement destinées à l’industrie sucrière, les plantations vont progressivement passer au rum au XVIIIè siècle. A cette époque les produits d’importation se font une place sur le marché britannique et le rum est alors considéré comme une boisson exotique de nouveau riche. Il concurrence le brandy français et le genever hollandais et représente environ 25% de la consommation britannique à la fin du siècle. Il profite notamment du gin craze qui détruit l’image du gin et des fortes taxes imposées au Cognac. Il bénéficie également d’un lobbying intense, 40 familles de planteurs ayant alors un membre au parlement. Les plantations et les distilleries se développent dans tout l’empire, le Guyana passe de 7 exploitations en 1744 à 56 en 1769. La culture de la canne vit alors son âge d’or et des générations entières de colons s’enrichissent. Les planteurs, appâté par l’argent facile, se laissent un peu aller et ne se préoccupent pas de la durabilité de leurs affaires.
1703, naissance de Mount Gay
Mount Gay est aujourd’hui la plus ancienne distillerie en activité. Située à la Barbade, la production de rum y a commencé en 1703. Elle doit son nom à Sir John Gay Alleyne qui en fut le directeur et fit tout son possible pour la mettre en valeur. Elle change plusieurs fois de propriétaire au XIX è siècle et en 1958 sa production est exportée vers 19 pays puis 40 en 1976. Cette même année, la distillerie fait l’acquisition d’une colonne continue et augmente ses capacités de production. La marque est vendue en 1989 au groupe français Rémy Cointreau mais la famille Ward garde la propriété de la distillerie. Celle-ci produit 2 marques, Mount Gay (pour Rémy Cointreau) et Mount Gilboa issu d’une triple distillation en pot still.
1710, fondation de Worthy Park
Plus ancienne distillerie jamaïcaine, Worthy Park est en activité depuis 1710. Sa production croit de manière spectaculaire jusqu’en 1834, date à laquelle les esclaves sont affranchis. A la fin de la seconde guerre mondiale, les autorités jamaïcaines décident de réduire la production de rum et de se consacrer au sucre. La distillerie ferme en 1950 mais la production de canne tourne à plein régime. Avec la baisse des prix du sucre dans les années 2000 la distillerie voit le vent tourner et relance le rum avec sa marque Rum Bar prisée par les locaux. Très vite, Worthy Park voit le potentiel du rum vieilli et stocke des milliers de futs. Aujourd’hui, la distillerie livre des rums magnifiques dans un pur style high esters. Habitation Velier, dont on vous parlait ici, a récemment sorti un Worthy Park 2006 hallucinant à goûter de toute urgence.
1762, Cuba se met au rum
S’ils occupaient l’île depuis presque 300 ans, les espagnols ne s’intéressaient que très moyennement à la canne à sucre. Leur principal intérêt était l’or et l’argent et en 1714 tout le matériel de distillation avait été détruit suite à un décret royal. En 1762, les britanniques mettent la main sur l’île et la convertissent à la canne. Même s’ils en sont chassés 11 mois plus tard, elle s’est fait sa place et les espagnols prennent la pleine mesure des richesses qu’elle peut apporter. A partir de 1777, la distillation est autorisée et l’île fournit la forte demande de rum en provenance d’Amérique du nord d’autant qu’Haïti est alors sous embargo depuis son indépendance. S’en suit une importation massive d’esclaves et en 1820 ce ne sont pas moins de 652 usines sucrières qui parsèment l’île. Dès 1829, la production cubaine de sucre dépasse celle des colonies britanniques et en 1860 on y compte 1365 distilleries de rum.
1934, Don the beachcomber lance la mode tiki
Lorsqu’il ouvre son restaurant, Ernest Raymond Beaumont Gantt, aka Don the Beachcomber, s’inspire de la culture polynésienne. Tout y est, les statues en bois (tiki), les chemises à fleur, le mobilier en rotin, les orchidées et les fruits tropicaux. Très vite il remporte l’adhésion avec un univers décontracté, excentrique et haut en couleur. Parallèlement Vic Bergeron (aka Trader Vic), en bon entrepreneur, se rend compte du succès de Don et lui propose de devenir son partenaire. Se faisant gentiment éconduire en 1937, il part perfectionner sa culture cocktail à Cuba sous les ordres du légendaire Constante Ribalaigua. Ces deux larrons sont à l’origine de la plupart des cocktails tiki qui font la part belle au rum. Leurs créations (Zombie dont on vous parlait ici et Maï Taï ici) remportent un franc succès et participent largement à l’explosion du rum en Amérique du nord après la prohibition.
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