Si l’heure de gloire des Village Vanguard et autres Birdland est sans doute irrémédiablement passée, on ne peut s’imaginer y passer une soirée sans un verre de scotch a la main. Les blends standard de l’époque, Johnnie Walker Red et Chivas 12, loin de ressembler aux assemblages quasi-insipides d’aujourd’hui, contenaient selon les anciens, moult whiskies fabuleux et hors d’âge, produits dans les usines a reves que sont aujourd’hui Brora ou Convalmore.
Pour essayer de retrouver une combinaison musique-whisky proche de celle qui avait cours lors de cette époque bénie, nous vous proposons de tenter un « pairing » (comme diraient nos amis foodies…) free-jazz et whisky japonais. Comme c’est une expérience que l’on aura a cœur de retenter, on commence par du classique, quatre morceaux venus de la galaxie John Coltrane et son crew.
Coltrane est, avec Miles Davis et quelques autres, l'un des géants de l'histoire du jazz. Apres une période hard bop pendant laquelle il a notamment produit l'album "My Favorite Things", Coltrane a été, a partir du milieu des années 60 jusqu'a sa mort en 1967 (a 40 ans), a la pointe du mouvement "free" qui a révolutionné le monde du jazz. Il a pris sous son aile certains des plus talentueux musiciens de son époque, Albert Ayler, Archie Shepp et Pharoah Sanders notamment, qui ont sur faire perdurer son style et sa légende. On utilise le whisky comme prétexte pour tirer note chapeau au maitre et réécouter certains de nos morceaux préférés.
McCoy Tyner « Contemplation » et Miyagikyo 15 ans
McCoy Tyner (piano) faisait partie du quatuor classique de Coltrane avec Elvin Jones (batterie) et Jimmy Garrison (basse) avant d’être remplacé sur le tard par Alice Coltrane pour les albums les plus « out » dans la dernière année de la vie de Coltrane. L’album « The Real McCoy » dont est tiré de morceau a été enregistré en 1967 et est souvent considéré comme la pièce maitresse de l’œuvre solo de Tyner. C’est parfait pour se mettre en jambe avec un Miyagikyo 15 ans léger et fruité mais plein de caractere.
John Coltrane « A Love Supreme » et Yoichi 20 ans
Beaucoup considèrent cet album légendaire comme le sommet de la carrière de Coltrane, le quatuor est a fond et c’est une musique absolument intemporelle qui n’a pas pris une ride. Ce n'est pas forcément facile d'accès, et cela demande une certaine implication et une aptitude a la contemplation prononcée, mais une fois qu’on y entre il est difficile d’en sortir. En cela il ressemble un peu au Yoichi 20 ans, un malt unique, puissant et cérébral, qui est parmi mes whiskies préférés. Un choix logique en somme !
Pharoah Sanders « The Creator Has a Master Plan » et Karuizawa 1981 (cask 162)
L’album « Thembi » de Pharoah Sanders a été ma porte d’entrée dans l’univers du jazz. Je ne remercierai jamais assez Etienne Trinidad de me l'avoir bicrave. Sanders est considéré, a juste titre, comme le fils spirituel de John Coltrane, celui qui l’accompagnait au saxophone dans les dernières sessions, comme le superbement barré « Expression ». Après la mort de Coltrane, Pharoah Sanders a sorti une flopée d’albums au style unique, mêlant free-jazz et influences orientales, dont certains avec le vocaliste Leon Thomas. Son album le plus connu, « Karma » contient son morceau phare(oah), « The Creator Has a Master Plan », une méditation sur la religion et le sens de la vie conçue comme une ballade free. Chef d’œuvre ! On vous propose donc de le déguster avec un Karuizawa 1981 embouteillé pour la maison du whisky en 2012. Un autre chef d’œuvre intemporel, et une ballade au royaume des sens !
Bonus: Alice Coltrane « Isis and Osiris » et Chichibu « The First »
Apres la mort de John Coltrane, sa femme Alice a tenté de porter le flambeau du défunt maitre avec un succès mitigé. Elle a sans doute poussé un peu loin l’exploration ethno-musicale puisqu’elle a fini par chanter les louanges de Hare Krishna avec force Fender Rhodes et Orgue Hammond en fond. Mais tout est loin d’être à jeter et notamment les albums enregistrés avec Rashied Ali et Pharoah Sanders. C’est un peu le bordel, mais sur « Isis and Osiris » Ali envoie un bois énorme a la batterie et Sanders est la pour lui rendre la monnaie de sa pièce, fidèle a la mémoire du grand John. On l’écoute en buvant un Chichibu, un whisky fougueux et pas encore complètement maitrisé mais qui nous promet de belles envolées lyriques dans un futur pas si lointain.
A vos platines!
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